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Lueur

Mon repos fut de courte durée. Les portes de la Cathédrale ouvrirent dès 6 heures du matin, sans doute pour que les gens souhaitant passer leur journée à l’abri dans l’édifice puissent entrer avant les premières lueurs de l’aube. Il y avait beaucoup moins de monde que la veille ; la plupart étaient des personnes isolées venues avec un sac contenant des provisions pour la journée.

Un système d’écran, de baffles et de projecteur mis en place pour Pâques fut rapidement détourné afin de diffuser les communications émanant de l’Élysée (il n’y avait plus aucune autre source d’informations à distance). Était-ce la particularité du lieu ou la progression rive droite s’avérait-elle moins avancée que rive gauche, toujours est-il que la couche de Matériau demeurait indécelable sur les fils et le reste du matériel électrique.

Vers 10 heures, un grésillement se fit entendre et l’écran afficha à nouveau l’image du président. Ce dernier invitait la population au civisme sur fond de scènes d’émeutes et rappela qu’il était extrêmement déconseillé de s’exposer à la lumière directe du soleil. Des distributions de produits de première nécessité seraient organisées chaque nuit. L’armée avait été réquisitionnée et coordonnerait l’accès aux Tubes. Le chef de l’État (ou ce qu’il en restait) fit une courte pause, caressant un temps la tête du Van lové dans ses bras ; le félin était moins gros que celui de la veille et fixait la caméra de ses yeux vairons. À partir de cette nuit, il serait formellement interdit de quitter son lieu de résidence. Seules les personnes occupant actuellement un autre lieu seraient autorisées à se déplacer. À cette fin, les transports routiers et ferroviaires fonctionneraient jusqu’à l’aube sous contrôle de l’armée. En cas de difficulté, les personnes devaient se rendre au poste de Police le plus proche où elles seraient intégralement prises en charge. Des rondes dédiées faciliteraient le processus.

La communication cessa après un bref gros plan sur le Van.

Un murmure parcourut la maigre assemblée. On ne se connaissait pas mais on échangea, confronté à la particularité de la situation. Il était difficile de véritablement comprendre que le monde avait irrémédiablement changé.

Le reste de la journée s’avéra pauvre en événements, avec pour unique activité de ma part quelques longues prises de notes et une vingtaine de tours de nefs en marche rapide. Je réintégrai ma cache dès 16 heures et tâchai de compenser mon manque d’exercice physique par une intense séance de pompes et de squats. Les mémoires de Nelson Mandela me revinrent à l’esprit - la façon dont cet homme avait pu se maintenir en forme des années durant en dépit de l’espace exigu de sa cellule. Je comptais bien m’en inspirer si la situation venait à perdurer.

À 21 heures, un bruit de bottes résonna dans la Cathédrale. Sans doute quelques dernières personnes à « raccompagner ».

À 22 heures, je redescendis et effectuai un prudent tour des lieux. Il n’y avait plus un chat (je me mordis les lèvres à cette pensée). Décidant qu’il était trop risqué de tenter une sortie en extérieur, je me contentai d’un footing discret au sein de l’édifice. Je me forçai ensuite à rester alerte jusqu’à l’aube, relisant et corrigeant mes notes dans un coin de chapelle.

À l’ouverture des portes, personne ne se présenta. Le prêtre resta un moment sur le seuil puis retourna vaquer à ses occupations. Je l’observai de loin, prenant toutes les précautions pour demeurer à la fois invisible et inaudible. Je finis par aller me coucher, la gorge nouée par la contrariété. Je ne serais donc pas l’unique hôte de la Cathédrale. Je m’endormis avec l’espoir que cela ne durerait pas trop longtemps.

Les nuits suivantes, ma routine s’établit rapidement. Après avoir vérifié qu’il n’y avait personne dans la nef (le prêtre conservait un rythme diurne en dépit de tout bon sens), je sortais à pas de loup, rejoignais l’un de mes départs d’escalade les plus propices à la situation (il y avait encore régulièrement des rondes, parfois même des personnes se risquant comme moi à l’extérieur) et gravissais prestement l’édifice. J’observais alors la ville déserte, tentant de comprendre ce qui se tramait à l’horizon. J’appréciais tout particulièrement la Tour de Beurre qui, outre le challenge physique pour atteindre son sommet, avait l’avantage de m’offrir un point de vue idéal.

Une lueur qui ne correspondait à rien de logique progressait d’ouest en est, gagnant en intensité au fil des nuits.