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Menstruer en société - De l'intime au politique

Retour sur une campagne de communication de Picasoft


Quelques mots sur l’autrice : C’est moi qui ai proposé le visuel dont le billet parle. Je voulais le défendre et expliciter ma démarche. Je parle d’un point de vue de femme cis et blanche. Cette position me donne très certainement des points aveugles. Si vous voulez proposer un (contre-)point à ajouter à l’article, n’hésitez pas à envoyer un mail


Picasoft organise un atelier d’autodéfense numérique. Pendant la semaine avant l’ouverture des inscriptions, nous avons publié sur nos différents réseaux sociaux des visuels qui pointent certaines manières dont nos données les plus sensibles sont siphonnées par les géants du web.

Le premier parlait de militance. Sur fond orange Technopolice, on pouvait y lire des questions posées à un assistant personnel à plusieurs jours d’intervalle :

  • Ok Google, quelles sont les assos de désobéissance civile à Compiègne ?
  • Ok Google, comment organiser un blocage ?
  • Ok Google, que faire en cas de perquisition ?

Le deuxième avait comme thèmes les relations amoureuses et la santé mentale. Mark Zuckerberg, affublé d’un micro-casque, nous prodiguait quelques conseils :

  • À ta place, j’irais pas à cette soirée, il y aura ton ex.
  • T’en as parlé à ta psy d’ailleurs ?
  • T’as vraiment l’air déprimé ces temps-ci…

Le dernier mentionnait une protection menstruelle et une crainte de grossesse. Un Google Home faisait les rappels suivants :

  • Pense bien à stériliser ta cup avant de partir en week-end.
  • D’ailleurs, tes règles sont en retard.
  • Tu veux que j’appelle ton gynéco ?

Ok Google, que faire en cas de perquisition ?

Ces trois publications mettent les deux pieds dans le plat de l’intime, du politique, et du lien entre les deux. Elles montrent des situations où des données potentiellement compromettantes sont révélées. Personne ne veut se montrer après une rupture, dans un moment de vulnérabilité. Personne ne veut se faire réveiller à 6h par la police suite à une action1. Et personne ne veut se faire afficher en train d’avoir ses règles.

Ah bon, personne ?

Le tabou autour des règles est toujours bien présent dans l’espace public, et ce tabou a notamment pour conséquence de créer de la honte chez les personnes concernées. Dès lors, elles auront plus de difficultés à partager leur vécu. Or, sans connaissance de leurs problématiques, comment pourrions-nous en tant que société y proposer des solutions ? Comment établir des critères diagnostiques de l’endométriose si personne ne parle de ses douleurs ? Comment obtenir des protections en libre accès partout si personne ne parle des taches de sang sur les pantalons ? Comment inscrire dans le droit du travail des congés pour fausse couche si personne ne parle de ce que cette expérience a d’éprouvant, à la fois sur le plan physique et émotionnel ?

À ta place, j’irai pas à cette soirée, il y aura ton ex

En fait, je pense vraiment que ce tabou ne fait que du mal. Alors que je comprends en quoi le tabou sur les excréments a pu être utile dans une société où il était difficile de se laver les mains souvent, je ne vois pas d’autre origine que la misogynie2 au tabou sur les règles. Alors que le tabou sur la torture continue de nous protéger de certaines expositions à la violence, le tabou sur la grossesse ne fait que renforcer l’injonction à se conformer à un référentiel prétendument neutre, mais en fait cis-masculin. Il participe à la marginalisation des femmes. Il participe à l’invisibilisation des hommes trans et de toutes les autres personnes qui ne s’inscrivent pas dans la binarité de genre ou de sexe.

Un des objectifs de ce visuel était donc de participer à briser le tabou, en traitant les règles comme un sujet parmi d’autres. Il peut être mobilisé pour faire la promotion d’un événement. Il n’a pas à rester enfermé dans les plannings familiaux, les cercles de parole en mixité choisie et les soirées pyjama.

De plus, dans une période de recul des droits reproductifs partout dans le monde, il est important de visibiliser les thématiques de santé sexuelle. Parlons-en partout, tout le temps, avant que la fenêtre d’Overton ne dérape encore plus à droite.

Enfin, les personnes qui utilisent des applications de suivi de cycle ont tout intérêt à être formées à la protection de leurs données : on peut facilement les croiser avec d’autres bases de données pour déterminer qui a avorté récemment. Les données de localisation par exemple, permettent de savoir si quelqu’un a visité un planning familial. Au Texas, où l’IVG a récemment été criminalisé, et dans tant d’autres États, cela représente un réel danger. Plusieurs associations féministes conseillent de désinstaller toute application de suivi de règles.

Un tweet incitant à la suppression des applications de suivi menstruel

Il me tient à cœur que Picasoft se solidarise avec toutes les luttes émancipatrices. Sans parler à la place de personne. Mais en permettant à nos membres d’élargir notre discours par leur expérience incarnée et leurs autres militantismes. Autorisons-nous des gestes d’amitié. Ils ne sont pas hors-sujet.

Tes règles sont en retard, tu veux que j’appelles ton gynéco ?

1

Passer devant la justice peut être un choix stratégique. Pour autant, l’expérience est rarement agréable.

2

Il n’y a pas que des femmes qui ont leurs règles, et toutes les femmes ne sont pas menstruées. Mais le cis-tème continue d’invisibiliser les personnes trans, non-binaires et intersexes.