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L'aveuglement de Claude Weill et Yves Pozzo di Borgo

Claude Weill est un journaliste et écrivain français né en 1950. Yves Pozzo di Borgo est sénateur de Paris membre du parti UDI (Union des démocrates et indépendants). Il est né en 1948. Comment en est-on arrivé à tel niveau d'aveuglement en France venant de personnes qui ont eu largement le temps de se former en économie?

J’ai lu avec stupeur ce tweet de Claude Weill :

https://twitter.com/WeillClaude/status/1234416594064990213

et la réponse d’Yves Pozzo di Borgo :

https://twitter.com/YvesPDB/status/1234463461050060800

Commençons par prendre le cas de l’Islande pour ce qui concerne le problème bancaire de 2008:

Comme les autres pays européens, l’Islande a subi de plein fouet la crise financière déclenchée par la crise des «subprimes». En septembre 2008, les trois principales banques du pays (Kaupthing, Landsbanki et Glitnir) sont tombées en faillite et l’État a dû les nationaliser en urgence.

La faillite de ces banques s’explique par la dérégulation financière qui a débuté dans les années 1990. Le secteur bancaire, qui a été totalement privatisé en 2003, a alors pris un maximum de risques pour attirer les capitaux étrangers. Les banques islandaises ont notamment développé des comptes en ligne qui permettaient d’offrir des taux d’intérêt élevés défiant toute concurrence. Résultat: en à peine quatre ans, la dette extérieure de ces trois banques islandaises a plus que quadruplé: passant de 200% du PIB en 2003 à 900 % du PIB en 2007! En 2008, lorsque la crise des subprimes frappe l’Islande, elles étaient évidemment dans l’impossibilité de rembourser leurs dettes.

Contrairement aux autres pays européens, les dettes du secteur bancaire n’ont pas été transférées vers le secteur public. Elles ont été supportées par les créanciers de ces banques plutôt que par la population islandaise. Ce qui est tout à fait normal vu que la grande majorité des Islandais ne sont en rien responsables du comportement des banques.

Le refus d’assumer ces dettes provient de la formidable mobilisation citoyenne qui, malheureusement, a été largement passée sous silence par les grands médias. Rappelons que par deux référendums successifs (en mars 2010 et avril 2011), le peuple islandais a refusé de rembourser les créanciers étrangers qui étaient principalement des épargnants britanniques et néerlandais ayant perdu de l’argent lors de la faillite en 2008 de la banque en ligne Icesave, la succursale Internet de la banque Landsbanki qui offrait des taux délirants. Les résultats de ces référendums ont été suivis d’effet par le gouvernement islandais en dépit des protestations des gouvernements britannique et hollandais. La population a ainsi obtenu une victoire sur les créanciers.

http://www.cadtm.org/En-Islande-les-responsables-du

En octobre 2016, neufs grands banquiers écopent de 46 ans de prison cumulés, par la Cour suprême de Reykjavik. Même si tout n’est pas rose, l’activité économique, à travers le tourisme notamment, a repris de belles couleurs. Les Islandais ont vu leurs salaires progresser, ils ne sont plus surendettés et ils ne consomment plus à crédit.

Affranchie des puissances financières, l’Islande a montré la voie.

Passons maintenant au cas de la Grèce pour ce qui concerne la pauvreté qui a suivi la crise bancaire de 2008:

Selon une étude de l’association britannique Jubilee Debt Campaign, cette institution a déjà fait 2,5 milliards d’euros de profits sur ses prêts à la Grèce depuis 2010. Si la Grèce rembourse le FMI en totalité ce chiffre s’élèvera à 4,3 milliards d’euros d’ici 2024.

Le FMI applique un taux d’intérêt effectif de 3,6% sur ses prêts à la Grèce. Ceci est beaucoup plus que le taux de 0,9 % dont l’institution a actuellement besoin pour couvrir ses frais. À ce taux d’intérêt, la Grèce aurait payé 2,5 milliards d’euros de moins au FMI.

Sur l’ensemble de ses prêts à tous les pays en crise de la dette entre 2010 et 2014, le FMI a réalisé un bénéfice total de 8,4 milliards d’euros, dont plus d’un quart vient de la Grèce. Tout cet argent a été ajouté aux réserves du Fonds, qui totalisent maintenant 19 milliards d’euros. Ces réserves sont destinées à couvrir les coûts des défauts de paiements. La dette totale de la Grèce envers le FMI est actuellement de 24 milliards d’euros.

Tim Jones, économiste à Jubilee Debt Campaign, a déclaré:

«Les prêts du FMI à la Grèce n’ont pas seulement renfloué les banques qui ont prêté imprudemment, ils ont en fait ponctionné encore plus d’argent au pays. Cet intérêt usuraire ajoute à la dette injuste imposée à la population grecque».

A côté de l’argent gagné par le FMI sur le dos de la crise grecque, l’Allemagne s’avère être l’un des principaux bénéficiaires de celle-ci. La réponse fournie par le ministère allemand des Finances montre qu’entre 2010 et 2017, les bénéfices liés aux intérêts de la dette se sont élevés à un total de 2,9 milliards d’euros, qui ont d’abord été transférés à la Bundesbank, avant d’atterrir dans le budget fédéral.

Mais ce n’est pas tout, la crise grecque a rapporté près de 8 milliards d’euros à la BCE.

Elle est belle la solidarité européenne ou comment se faire de l’argent sur le dos des plus fragiles!

Pourtant, depuis la mi-2015 la BCE a fait tourner la planche à billets pour créer au total 2500 milliards d’euros (Quantitative Easing + LTRO). Le but était de permettre aux banques de prêter plus facilement aux entreprises et pour les aider à sortir des effets de la crise de 2008. Résultat: seulement 11% sont allés dans l’économie réelle et 89% dans la spéculation.

Depuis 2016, dans le cadre du programme TLTRO II, la BCE offre aux banques des prêts à taux négatif, vous entendez bien, négatif!

Ne croyez-vous pas que ces avantages octroyés seulement aux banques pourraient permettre de financer des investissements (publics) vraiment utiles dans l’économie réelle ou d’aider les pays de l’UE à se débarrasser de leurs dettes plutôt que de partir très largement dans la spéculation?

Le FMI et la Banque mondiale ont imposé aux pays débiteurs des politiques qui violent délibérément et de manière répétée une série de droits humains fondamentaux. La troïka composée de la Commission européenne, de la Banque européenne et du Fonds monétaire international, qui s’est instituée en 2010 pour imposer à la Grèce des politiques d’austérités brutales, a dicté au gouvernement grec des lois qui vont à l’encontre de plusieurs conventions internationales et des dispositions nationales garantes des droits fondamentaux des individus et des peuples. Ainsi, les créanciers ne sont pas de simples complices occasionnels d’actes illégaux ou criminels commis par des gouvernements, ils en sont à l’origine. Ils en sont les commanditaires.

Dans le cas de l’Islande, le FMI a assorti les conditions de son prêt de 2,1 milliards de dollars à des mesures drastiques dont l’objectif était de ramener le déficit public de l’Islande à zéro d’ici 2013. Cet objectif impossible à tenir a entraîné d’énormes coupes dans les dépenses publiques. Le FMI a également conditionné le versement des tranches de ce prêt au remboursement des dettes privées par l’Islande (celles qui ont été refusées par la population islandaise). Le FMI s’est comporté comme un véritable agent de recouvrement au service du Royaume-Uni et des Pays-Bas.

Avant la crise des subprimes, il y eu un autre problème majeur en 2007 avec le cours du riz dont le prix s’est mis à grimper de manière anormale provoquant une crise alimentaire. Les banques sont responsables de ce problème. Prenons par exemple la banque JP Morgan qui a su anticipé la crise des subprimes. Se retirant de ce marché à temps, elle s’est retrouvée avec un cash énorme qu’elle a réinvesti pour spéculer sur les matières premières, dont les céréales. C’est ce qu’explique Etienne Chouard dans ce documentaire :

Jean Pierre Gaborit le confirme dans cet article :

http://www.newropeans-magazine.org/en/2012/01/27/crime-speculation-pour-une-loi-de-criminalisation-de-la-speculation-alimentaire-4/

Extrait:

«Un jour de 2007 un jeune Français de 25 ans est venu passer une semaine de vacances ici. Il était très exubérant, plutôt sympathique. En prenant l’apéritif avec lui je lui demande quelle était son activité. Il me dit qu’il était trader à la City pour JP Morgan, qu’il avait un salaire mirobolant plus ses bonus.

- Intéressant, lui dis-je, on parle beaucoup de vous. Sur quoi tu investis actuellement?

- J’ai fait de bons résultats les dernières années, mais actuellement je suis à fond sur les produits alimentaires, c’est ce qui performe le plus.

Interloqué, je lui dis que tous les Sénégalais qui étaient autour de lui ici avaient subi une augmentation du riz et de l’huile de 40% depuis un an. Ce qui voulait dire que ses jeux financiers à la City venaient prendre chaque jour dans l’assiette de chaque Sénégalais 40% de leur repas!!!

Et je lui demandais ce qu’il en pensait.

Il m’a répondu avec franchise en me déclarant qu’il ne pensait jamais à ça. Son boss lui demandait de faire toujours plus de profits et il faisait son boulot. A 25 ans il menait une vie délirante de luxe, prenant un avion privé de Londres à Zurich pour rencontrer les banquiers suisses qui l’imploraient de prendre leurs milliards pour les faire fructifier. Il vivait dans un rythme fou et ne se posait pas de questions, il lui fallait faire son job à fond car à 30 ans il sera fini.»

Les remarques délirantes de Claude Weill et Yves Pozzo di Borgo me font penser à cette remarque de Jacques Généreux extraite de son livre «La déconnomie» :

«Serions-nous donc gouvernés par des imbéciles qui ignorent tout des leçons de l’histoire? A quoi servent les livres et l’enseignement, si nos élites récitent à nouveau les crétineries des années 1920 sur les vertus de l’équilibre budgétaire et de la baisse des salaires? Dans la mémoire de nos dirigeants, un virus sournois semble avoir effacé l’expérience accumulée depuis près d’un siècle. On peut dès lors redouter que ces dirigeants soient tout bonnement incapables de concevoir la nécessité d’une «autre politique» avant que ne s’accomplissent une nouvelle tragédie.»