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En finir avec le capitalisme de surveillance ?

Picasoft tient désormais une rubrique dans le Fil, le journal étudiant de l’UTC. Toutes les deux semaines, on a 600 mots pour parler de ce qui nous tient à coeur. C’est court, mais c’est un bon exercice. On retranscrit les articles sur notre blog, et cette semaine, on parle capitalisme de surveillance.

Image d’illustration CC BY-SA 4.0 La Quadrature Du Net


Les services numériques, l’intelligence artificielle et l’automatisation se déploient partout et à grande échelle, accompagnés de leurs armées de capteurs : chez nous, dans nos facs, dans nos rues, dans les services publics et dans l’espace.

Une prochaine fois, on se demandera si c’est Bien™ ou Mal™. Mais en guise d’apéritif, essayons d’abord de comprendre pourquoi le numérique rencontre si peu d’obstacles à son déploiement : le concept de capitalisme de surveillance nous offre une clé importante. Pour le comprendre, partons d’une lecture marxiste du capitalisme : l’ouvrier vend sa force de travail au propriétaire des moyens de production. Ce dernier en tire une plus-value, source de profit et de richesse pour la classe capitaliste.

La chercheuse Shoshana Zuboff1 reprend cette lecture pour définir le capitalisme de surveillance, en prenant pour exemple les GAFAM. Lorsque j’utilise un produit Google, je suis comme l’ouvrier : je produis de la valeur à travers les données que je génère. En échange, j’ai accès à un service. Mes données sont injectées dans des algorithmes prédictifs jalousement gardés par Google : c’est la plus-value. De ces algorithmes ressortent des informations que je n’ai jamais dévoilées directement – mon humeur, mon état de santé, mes angoisses, mes fantasmes, mes convictions politiques… Elles sont revendues aux vrais clients : banques, assurances, partis politiques, publicitaires ; vous avez l’idée.

Pourtant, le capitalisme de surveillance s’étend bien au-delà de la sphère des GAFAM. Il n’y a qu’à regarder le déploiement effréné des technologies de surveillance dans l’espace public : drones, caméras « intelligentes », micros censés détecter les bruits suspects… Pourtant, à plusieurs reprises, la Cour des comptes2 a pointé du doigt le manque effarant de preuves concernant l’efficacité des dispositifs de surveillance, malgré un coût astronomique pour l’État et les communes. Dès lors, comment expliquer d’une part l’inaction de l’État face au pillage organisé des données personnelles par les GAFAM, et d’autre part son investissement massif dans les technologies de la surveillance3 ?

Il suffit de redéfinir le capitalisme de surveillance comme l’alliance entre les géants du numérique, les industriels de la surveillance et les États pour que tout s’éclaire. D’un côté, les masses gigantesques de données digérées par les géants du numérique intéressent les services de renseignement - c’est leur garde-manger. De l’autre, l’industrie de la surveillance4 connaît une forte croissance, ce qui ouvre l’apétit de bon nombre d’États. Et peu importe l’efficacité de cette surveillance. Christophe Masutti, docteur en histoire, rappelle que « l’économie de la surveillance n’a pas d’idéologie. Elle vise simplement la maximisation des profits dans la logique du système capitaliste »5.

Il faut donc se retenir d’y voir un genre de Big Brother tentaculaire visant au seul contrôle social. Plus prosaïquement, comme Martin et Norman le signalaient déjà en 19706, « plus une société et sa technologie sont complexes, plus grand devient le besoin d’information ». On cherche alors à capter un maximum de données pour mieux comprendre les dynamiques systémiques. On pense que leur multiplication est un gage d’optimisation des choix économiques. On ne laisse alors aucune place à d’autres imaginaires politiques : le monde est réduit à ce qu’il est à un instant t, à ses dimensions quantifiables.

Si l’on veut en finir avec le capitalisme de surveillance, il n’y a pas beaucoup de choix : il faut penser plus petit et moins complexe ; concevoir des archipels7 plutôt que des mégalopoles. C’est en ce sens que la mouvance low-tech est une réponse radicale : elle prend le problème à la racine. Et la racine, c’est l’échelle.

1

Shoshana Zuboff. 2018. The Age of Surveillance Capitalism: The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power.

2

Référé S2021-2194 du 02 décembre 2021, à l’attention de Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur.

3

Par exemple via le CoFIS, ou Comité de la Filière industrielle de sécurité, un partenariat public/privé impliquant de nombreux acteurs de la surveillance et 11 ministères.

4

Dont SOPRA, Thalès, Safran, Airbus… voir technopolice.fr.

5

Christophe Masutti. 2020. Affaires privées: aux sources du capitalisme de surveillance (C&F Éditions), p. 122.

6

James T. Martin et Adrian R. D. Norman. 1970. The Computerized Society.

7

Voir le concept d’archipellisation développé par Édouard Glissant, philosophe martiniquais, Nobel de littérature.